Par décision en date du 23 avril 1961, le Président de la République a mis en application l'article 16 de la Constitution qui attribue au Président de la République des pouvoirs exceptionnels lui permettant de prendre toutes les mesures exigées par les circonstances et notamment à exercer dans les matières du domaine législatif (article 34 de la Constitution) et règlementaire (article 37 de la Constitution).
Par une décision du 3 mai 1961, le Président de la République institue un Tribunal militaire.
Rubin de Servens, et autres, sont jugés par ce tribunal et incarcérés à la prison de Santé.
Les requérants saisirent le Conseil d'État afin d'obtenir l'annulation de la décision du 3 mai 1961 par laquelle le Président de la République a institué un Tribunal militaire.
La juridiction administrative est-elle compétente pour connaître de la légalité d'une décision prise par le Président de la République par laquelle celui-ci institue un Tribunal militaire?
Le Conseil d'Etat, par un arrêt du 2 mars 1962, rejette les requêtes portées par Rubin de Servens et autres car portées devant une juridiction incompétente.
Tout d'abord, le Conseil d'Etat juge que la décision d'appliquer l'article 16 de la Constitution par le Président de la République est un acte de gouvernement qui ne relève pas de la compétence du juge administratif.
Par la suite, le Conseil d'État vient dire que cette décision de recourir à l'article 16 de la Constitution a habilité notamment le Président de la République à intervenir dans le domaine législatif et dans le domaine règlementaire.
En l'espèce, le Conseil d'État relève que l'institution d'un Tribunal militaire à compétence spéciale et la détermination des règles de procédure spéciales à suivre devant celui-ci relèvent du domaine de la loi. Par conséquent, la décision du Président de la République est intervenue dans la matière législative et échappe ainsi à la compétence de la juridiction administrative.
Le Conseil d'Etat dans cet arrêt distingue:
1 - la décision de recourir à l'article 16 de la Constitution
2 - et les mesures prises en application de cette décision.
En ce qui concerne la première décision, celle-ci revêt le caractère d'un acte de gouvernement qui échappe au contrôle du Conseil d'État.
En ce qui concerne les mesures prises pendant la période d'application des pouvoirs exceptionnels, le Conseil d'Etat distingue:
1 - les mesures intervenues dans le domaine législatif (article 34 de la Constitution) qui revêtent le caractère d'actes législatifs ne relevant pas de la compétence du juge administratif
2 - les mesures intervenues dans le domaine règlementaire (article 37 de la Constitution) qui, par une interprétation a contrario de cet arrêt, revêtent le caractère d'actes règlementaires relevant de la compétence de la juridiction administrative
Conseil d'Etat, Assemblée, du 2 mars 1962, 55049 55055, publié au recueil Lebon
Conseil d'Etat - ASSEMBLEE
statuant
au contentieux
- N° 55049 55055
- Publié au recueil Lebon
Lecture du vendredi 02 mars 1962
Président
M. Parodi
Rapporteur
M. Théry
Commissaire du gouvernement
M. Henry
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu, sous le n° 55049, la requête présentée pour les sieurs Rubin de I... Guy, C... Pierre, Z... Marcel, Y... Michel, F... Antoine, A... Roger, E... Joseph, Durand-Ruel G..., Picot d'X... d'Assignies, B... Jean, incarcérés à la prison de la Santé, ladite requête enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 5 juillet 1961 et tendant à ce qu'il plaise au Conseil annuler pour excès de pouvoir une décision du président de la République en date du 3 mai 1961 instituant un Tribunal militaire et subsidiairement ordonner qu'il soit sursis à son exécution ;
Vu, sous le n° 55055, la requête présentée pour le sieur H... de Nedde, demeurant ... à Saint-Cloud et pour le sieur D... Jacques-Claude demeurant ..., ladite requête enregistrée comme ci-dessus le 5 juillet 1961 et tendant à ce qu'il plaise au Conseil annuler pour excès de pouvoir une décision en date du 3 mai 1961 par laquelle le président de la République a institué un Tribunal militaire, subsidiairement ordonner le sursis à l'exécution ; Vu la loi constitutionnelle du 3 juin 1958 ; Vu la Constitution du 4 octobre 1958 ; Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ; Vu la loi du 4 août 1956 ;
Considérant que les requêtes susvisées présentent à juger les mêmes questions ; qu'il y a lieu de les joindre pour y être statué par une seule décision ;
Considérant que, par décision en date du 23 avril 1961, prise après consultation officielle du Premier Ministre et des présidents des Assemblées et après avis du Conseil constitutionnel, le Président de la République a mis en application l'article 16 de la Constitution du 4 octobre 1958 ; que cette décision présente le caractère d'un acte de gouvernement dont il n'appartient au Conseil d'Etat ni d'apprécier la légalité, ni de contrôler la durée d'application ; que ladite décision a eu pour effet d'habiliter le Président de la République à prendre toutes les mesures exigées par les circonstances qui l'ont motivée et, notamment, à exercer dans les matières énumérées à l'article 34 de la Constitution le pouvoir législatif et dans les matières prévues à l'article 37 le pouvoir réglementaire ;
Considérant qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution, "la loi fixe les règles concernant ... la procédure pénale, ... la création de nouveaux ordres de juridiction" ; que la décision attaquée en date du 3 mai 1961, intervenue après consultation du Conseil constitutionnel, tend d'une part à instituer un tribunal militaire à compétence spéciale et à créer ainsi un ordre de juridiction au sens de l'article 34 précité, et, d'autre part, à fixer les règles de procédure pénale à suivre devant ce tribunal ; qu'il s'ensuit que ladite décision, qui porte sur des matières législatives et qui a été prise par le Président de la République pendant la période d'application des pouvoirs exceptionnels, présente le caractère d'un acte législatif dont il n'appartient pas au juge administratif de connaître ;
DECIDE :
Article 1er - Les requêtes susvisées n° 55049 et 55055 présentées par le sieur Rubin de I... et autres sont rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.
Article 2 - Expédition de la présente décision sera transmise au Premier Ministre.