Juridiction:
Conseil d'État
Date:
08/08/1919
N° de la décision:
56377
Faits:

Le chef de l'État, par un décret du 10 mars 1899, institue le certificat de capacité pour la conduite des automobiles. Celui-ci est un document qu'un conducteur d'automobile devait obligatoirement détenir pour conduire (c'est l'ancêtre du permis de conduire). La faculté d'accorder ou de retirer ce certificat est remise aux préfets.

Par arrêté, un préfet de police a retiré au sieur Labonne son certificat de capacité pour la conduite automobile.

Procédure:

Le 2 janvier 1914, le sieur Labonne saisit le Conseil d'État afin d'obtenir l'annulation de cet arrêté. Il conteste également la légalité du décret du 10 mars 1899. Il soutient que les autorités départementales et municipales sont, en vertu de la loi, les seules compétentes pour veiller à la conservation des voies publiques et à la sécurité de la circulation.

Problème(s) de droit:

Le Conseil d'État répond dans cet arrêt à deux problématiques:
- Le chef de l'Etat est-il compétent, en dehors de toute délégation législative, pour déterminer quelles mesures de police doivent en tout état de cause être appliquées sur l'ensemble du territoire ?
- l'arrêté contesté était-il illégal ?

Solution:

Le Conseil d'État, par un arrêt du 8 août 1919, rejette la requête du sieur Labonne.

En effet, bien que les autorités départementales et municipales sont chargées par la loi de veiller à la conservation des voies publiques et à la sécurité de la circulation dans leur localité, il appartient au chef de l'État, en dehors de toute délégation législative et en vertu de ses pouvoirs propres, de déterminer celles des mesures de police qui doivent en tout état de cause être appliquées dans l'ensemble du territoire. Le conseil d'Etat rappelle toutefois que l'autorité locale conserve une compétence pour aggraver, si l'intérêt public l'exige dans sa localité, une réglementation générale édictée par le chef de l'État.

En ce qui concerne la légalité du décret et de l'arrêté, le Conseil d'Etat décide qu'ils ne sont pas entachés d'illégalité. En effet, en raison des dangers que présente la locomotion automobile, le décret pouvait valablement exiger que tout conducteur détienne une autorisation de conduire délivrée par l'autorité administrative qui détient également la faculté de retirer cette autorisation en cas de manquement grave aux règles de circulation. L'arrêté retirant le certificat de Monsieur Labonne, pris sur ce fondement, n'est donc pas illégal.

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Apport:

- Il appartient au chef de l'État, en dehors de toute délégation législative et en vertu de ses pouvoirs propres, de déterminer les mesures de police qui doivent en tout état de cause être appliquées dans l'ensemble du territoire.
- l'autorité locale conserve une compétence pour aggraver une réglementation générale édictée par le chef de l'État, si l'intérêt public le commande dans sa localité. Il s'agit d'un rappel de la jurisprudence du Conseil d'État du 18 avril 1902, Commune de Néris- les-Bains.

Texte intégral de la décision:

 

Conseil d'Etat -

statuant 
au contentieux

N° 56377

Publié au recueil Lebon

 

Lecture du vendredi 08 août 1919
 

Président

M. Romieu

Rapporteur

M. Worms

Rapporteur public

M. Corneille


Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 
Vu la requête présentée pour le sieur X... Louis , demeurant ..., ladite requête enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 2 janvier 1914 et tendant à ce qu'il plaise au Conseil annuler, pour excès de pouvoirs, un arrêté du préfet de police, du 4 décembre 1913, retirant au requérant le certificat de capacité pour la conduite des automobiles, et en tant que de besoin les articles 11, 12 et 32 du décret du 10 mars 1899 portant règlement sur la circulation des automobiles ; Vu la loi des 22 décembre 1789 - janvier 1790 et la loi du 5 avril 1884 ; Vu la loi du 25 février 1875 ; Vu les lois des 7-14 octobre 1790 et 24 mai 1872 ;
 
Considérant que, pour demander l'annulation de l'arrêté préfectoral qui lui a retiré le certificat de capacité pour la conduite des automobiles, le requérant se borne à contester la légalité du décret du 10 mars 1899 dont cet arrêté lui fait application ; qu'il soutient que ledit décret est entaché d'excès de pouvoir dans les dispositions de ses articles 11, 12 et 32 par lesquelles il a institué ce certificat et prévu la possibilité de son retrait ;
 
Considérant que, si les autorités départementales et municipales sont chargées par les lois, notamment par celle des 22 décembre 1789-janvier 1790 et celle du 5 avril 1884, de veiller à la conservation des voies publiques et à la sécurité de la circulation, il appartient au Chef de l'Etat, en dehors de toute délégation législative et en vertu de ses pouvoirs propres, de déterminer celles des mesures de police qui doivent en tout état de cause être appliquées dans l'ensemble du territoire, étant bien entendu que les autorités susmentionnées conservent, chacune en ce qui la concerne, compétence pleine et entière pour ajouter à la réglementation générale édictée par le Chef de l'Etat toutes les prescriptions réglementaires supplémentaires que l'intérêt public peut commander dans la localité ;
 
Considérant, dès lors, que le décret du 10 mars 1899, à raison des dangers que présente la locomotion automobile, a pu valablement exiger que tout conducteur d'automobile fût porteur d'une autorisation de conduire, délivrée sous la forme d'un certificat de capacité ; que la faculté d'accorder ce certificat, remise par ledit décret à l'autorité administrative, comportait nécessairement pour la même autorité celle de retirer ledit certificat en cas de manquement grave aux dispositions réglementant la circulation ; qu'il suit de là que le décret du 10 mars 1899 et l'arrêté préfectoral du 4 décembre 1913 ne se trouvent point entachés d'illégalité ;
 
DECIDE :
Article 1er : La requête du sieur X... est rejetée.
Article 2 : Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre de l'Intérieur.