Juridiction:
Conseil d'État
Date:
20/04/1956
N° de la décision:
98637
Faits:

Les époux Bertin, par contrat verbal avec l'administration, s'étaient engagés à assurer la nourriture de ressortissants soviétiques hébergés en France en attendant leur retour en Russie. Un engagement complémentaire à ce contrat aurait alloué aux Epoux Bertin des primes supplémentaires en échange de la distribution de denrées supplémentaires.

Les époux Bertin réclament au ministre des Anciens Combattants et Victimes de la Guerre une somme de 1.009.800 francs correspondant au montant de ces primes.

Par une décision du 1er juin 1949, le ministre rejette leur demande.

Procédure:

Les époux Bertin saisirent le Conseil d'Etat afin d'obtenir l'annulation de la décision du 1er juin 1949 par laquelle le ministre des Anciens Combattants refuse de leur verser la somme correspondant aux primes supplémentaires.

Problème(s) de droit:

Le litige relève-t-il de la compétence du juge administratif ?

Problématiques alternatives:
- le contrat verbal qui unissait les époux Bertin à l'administration était-il administratif?
- l'absence de clauses exorbitantes du droit commun dans le contrat empêche-t-elle la nature administrative de celui-ci?

Solution:

Le Conseil d'Etat, par un arrêt du 20 avril 1956, rejette la requête des époux Bertin.

Dans un premier temps, le Conseil d'Etat se juge compétent pour apprécier le litige. En effet, le contrat conclu entre l'administration et les époux Bertin ayant eu pour objet de leur confier l'exécution même du service public, celui-ci revêt la qualité de contrat administratif relevant de la compétence des juridictions administratives.

Dans un second temps, il rejette la requête sur le fond. En effet, les époux Bertin n'apportant pas la preuve de l'engagement supplémentaire, le Conseil d'Etat juge qu'ils ne sont pas fondés à demander l'annulation de la décision par laquelle le ministre refuse de leur verser le montant réclamé.

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Apport:

En l'espèce, si la première condition relative à l'existence d'une personne publique (critère organique) était remplie, le contrat ne comportait pas de clauses exorbitantes du droit commun (critère matériel).

La problématique était donc de savoir si le critère relatif à l'exécution même d'un service public (critère matériel) était suffisant pour qualifier le contrat comme administratif ou si l'existence de clauses exorbitantes du droit commun était indispensable.

Plus simplement, il s'agissait de savoir si deux critères matériels, en supplément du critère organique, étaient exigés pour que le contrat puisse être qualifié d'administratif ou si le respect d'un critère matériel était suffisant (avec le respect du critère organique toujours exigé). 

Par cette jurisprudence Epoux Bertin, le Conseil d'Etat consacre le caractère alternatif des deux critères matériels. Ainsi, la circonstance que l'objet du contrat porte sur l'exécution même du service public suffit à qualifier le contrat d'administratif « sans qu’il soit besoin de rechercher si ledit contrat comportait des clauses exorbitantes du droit commun ». 

Ainsi, pour qu'un un contrat soit administratif, deux conditions doivent être remplies: 

  • une personne publique doit être partie au contrat
  • l'objet du contrat doit porter sur l'exécution même du service public OU le contrat doit comporter des clauses exorbitantes du droit commun 
Texte intégral de la décision:

Conseil d'Etat - SECTION

statuant 
au contentieux

  • N° 98637
  • Publié au recueil Lebon

Lecture du vendredi 20 avril 1956

Rapporteur

M. Fournier

Commissaire du gouvernement

M. Long


RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 

Vu la requête sommaire et le mémoire ampliatif présentés pour le sieur et la dame X... demeurant ... Seine-et-Marne , ladite requête et ledit mémoire enregistrés au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat le 2 août 1948 et le 26 janvier 1952, et tendant à ce qu'il plaise au Conseil annuler une décision en date du 1er juin 1949 par laquelle le ministre des Anciens Combattants et Victimes de la Guerre a refusé de leur verser une somme de 1.009.800 francs ; Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 ; le décret du 30 septembre 1953 ;


Sur la compétence :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que, par un contrat verbal passé avec l'administration le 24 novembre 1944, les époux X... s'étaient engagés, pour une somme forfaitaire de 30 francs par homme et par jour, à assurer la nourriture des ressortissants soviétiques hébergés au centre de rapatriement de Meaux en attendant leur retour en Russie ; que ledit contrat a eu pour objet de confier, à cet égard, aux intéressés l'exécution même du service public alors chargé d'assurer le rapatriement des réfugiés de nationalité étrangère se trouvant sur le territoire français ; que cette circonstance suffit, à elle seule, à imprimer au contrat dont s'agit le caractère d'un contrat administratif ; qu'il suit de là que, sans qu'il soit besoin de rechercher si ledit contrat comportait des clauses exorbitantes du droit commun, le litige portant sur l'existence d'un engagement complémentaire à ce contrat, par lequel l'administration aurait alloué aux époux X... une prime supplémentaire de 7 francs 50 par homme et par jour en échange de l'inclusion de nouvelles denrées dans les rations servies, relève de la compétence de la juridiction administrative ;


Au fond :

Considérant que les époux X... n'apportent pas la preuve de l'existence de l'engagement complémentaire susmentionné; que, dans ces conditions, ils ne sont pas fondés à demander l'annulation de la décision en date du 1er juin 1949 par laquelle le Ministre des Anciens Combattants et Victimes de la Guerre a refusé de leur verser le montant des primes supplémentaires qui auraient été prévues audit engagement ;

DECIDE :

Article 1er - La requête susvisée des époux X... est rejetée.

Article 2 - Les époux X... supporteront les dépens.

Article 3 - Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre des Anciens Combattants.